CHAPITRE PREMIER
PAR UNE NUIT D’ORAGE ...
Les plantes environnantes se gorgeaient de lourdes gouttes de pluie qui tombaient du ciel chargé de nuages sombres, faisant danser leurs ombres comme des pantins sous le regard des hautes fenêtres du Manoir Croft, inondées de lumière et battues par le vent.
L’intérieur de cette immense bâtisse, typiquement anglais, était éclairé par de lourds lustres pendant d’un plafond de chêne finement ouvragé. Une horloge, disposée contre un mur entre deux couloirs, tintait timidement, surveillée du regard par le portrait d’un couple aux tempes grisonnantes. Plus loin, dans une pièce éclairée par des néons, projetant leur lueur violente sur le carrelage, un vieil homme s’affairait au-dessus d’un évier rempli d’assiettes et de verres sales. Tout en travaillant en silence, il écoutait une musique de jazz qu’émettait un vieux poste radio posé à côté de lui.
A l’étage, auquel on accédait par deux grands escaliers, se trouvaient, alignés côte à côte, des tableaux de maître, des armures antiques scintillantes et plusieurs lourdes portes de chêne sombre, donnant accès à une salle de musique, une bibliothèque chargée de vieux recueils poussiéreux, et une chambre à l’ambiance feutrée.
Un lit à baldaquin en velours pourpre trônait devant une cheminée en pierres, où un feu crépitant léchait une robuste bûche.
Jointe à la chambre dormante, on trouvait une petite salle de bain, couverte de pièces de céramique de différentes couleurs, agencées de façon à obtenir un motif qui rappelait un océan sous un soleil doré. Une très belle jeune femme, une serviette couleur saumon enroulée autour de la taille, tordait sa longue natte brune pour la sécher, en se regardant dans un miroir rond cerclé d’or, tout embué par les vapeurs de la douche qui continuait à déverser une eau claire et chaude par de fines gouttelettes.
Après avoir enfilé une fine chemise de soie, elle éteignit la lumière et alla s’asseoir sur le lit. Tout en passant la main dans ses longs cheveux, la jeune femme prit un vieux livre aux pages cornées et jaunies par le temps, intitulé « Once and Future King ». Elle l’ouvrit, s’installa confortablement et commença à lire, suivant avec attention les mots écrits par TH. White.
« -Miss Croft ? »
Lara sursauta, et leva les yeux de son livre, observa le vieil homme qui venait d’entrer. Courbé, les jambes tremblantes, il portait un plateau en bois, où était posé une théière fumante et une petite tasse bleutée.
-Winston ? Tu m’as fait peur... », soupira Lara, et en montrant le plateau, continua :«... tu n’aurais pas dû. Tu sais bien que tu es plus faible, depuis que tu à cette mauvaise grippe.
-Je sais, mademoiselle, je sais... », poursuivit le vieux majordome, approchant son plateau d’une table de chevet. Lara s’approcha de lui et l’embrassa tendrement sur la joue, comme une petite fille à son grand-père.
Winston sourit, et ses rides se plissèrent. Il se retourna et, sur le pas de la porte, murmura de sa voix tremblante :
« Bonne nuit, mademoiselle.
-Bonne nuit, Winston. »
***
Lara refermait le livre, alors que l’on emportait la dépouille du roi Arthur vers la mythique île d’Avalon, puis elle resta pensive, le feu de la cheminée se reflétant dans la profonde couleur noisette de ses yeux. Elle entendait, à travers la cloison, le vieil homme qui toussotait dans son lit. Mais un autre bruit se fit alors entendre. Un bruit sec provenant du hall, comme quelqu’un qui crochetait une porte.
Lara sauta de son lit et ouvrit la porte silencieusement. Elle jeta un regard en bas de l’escalier sombre, éclairé par la lune. Deux masses noires s’affairaient autour d’un sas blindé, menant à la salle des trophées.
Lara à amassé, au cours de ses voyages un peu partout dans le monde, de nombreux artefacts, parfois de valeur archéologique moindre, mais qui étaient, à ses yeux, très précieux.
La jeune femme sortit sans un bruit de sa chambre et se dirigea vers une petite pièce, fermée par une fine paroi d’acier. Elle pianota sur le digicode situé à côté et entra.
Une fois à l’intérieur, elle chercha à tâtons une lampe-torche et l’alluma. Lara braqua le faisceau sur une armoire métallique, où était disposés pêle-mêle, sur des crochets, des pistolets automatiques, mitrailleurs, des fusils... et plusieurs chargeurs sur des tables d’acier.
Son attention se porta sur un long fusil à pompe en carbone noir. Lara le détacha de son socle et prit une poignée de cartouches sur la table.
Rapidement et avec dextérité, elle chargea l’arme et se dirigea vers la sortie.
A peine la porte passée, un faisceau de lampe passa sur le mur du 1er étage. Lara se baissa et se plaqua contre la rambarde de l’escalier. Un homme d’apparence robuste, encagoulé et habillé d’un lourd manteau de cuir, passa à côté d’elle sans la voir et continua vers la salle de musique.
Elle le suivit silencieusement et entra dans la pièce, l’arme au poing.
C’était une petite salle, tapissée de velours sombre. Plusieurs instruments étaient disposés de part et d’autres : un long piano à queue, une harpe, une guitare sèche...
Lara empoigna alors l’intrus et lui plaqua la tête contre un meuble, son arme pressée contre sa nuque.
Elle lui retira son arme et lui murmura froidement :
« Je crois que tu t’es trompé de maison. Combien êtes-vous? », dit-elle en appuyant fortement le canon de son fusil contre l’homme.
Il leva sa main en tremblant et fit un signe.
« Trois ? Bien... Bonne nuit », acheva Lara en le frappant avec la crosse. Il s’affaissa à terre dans un bruit sourd.
Descendant prudemment, l’arme au poing, elle observait. Du bruit provenait de la salle des trophées. Elle s’avança et vit la porte blindée ouverte. Des faisceaux de lampes et des éclats de voix s’échappaient de la pièce.
Lara s’approcha et entra sans un bruit. Deux masses avançaient entre les vitrines, où étaient disposées des reliques mayas, soutenues du regard par une tête de dinosaure empaillée au-dessus d’une cheminée ancienne.
La jeune femme s’approcha d’un des intrus, l’empoigna par la gorge et tira une décharge sur l’autre, qui, sous la déflagration, alla s’écraser sur une statue égyptienne de Bastet.
L’autre, d’apparence mince et élancée, se débattit et lui plaça un coup de coude dans les côtes. Lara, sous le choc, le laissa partir. Il se retourna, chargea son arme et commença à tirer. Lara courut se mettre à l’abri, sous les pluies de balles et de débris de verre.
Elle profita du moment où l’intrus rechargea son pistolet mitrailleur pour lui sauter dessus et le plaquer au sol. Lara se releva et lui appuya sur le visage avec son pied nu. Braquant son arme sur le torse de l’agresseur, elle porta un coup sec de son pied et lui rompit la nuque, dans un craquement sinistre.
La jeune femme remonta, fusil à pompe sur l’épaule, et se dirigea vers la salle de musique afin d’interroger le survivant. Elle le transporta jusqu’a une chaise et l’y ligota. Elle lui arracha sa cagoule où était dessinée une tête de mort, découvrant un visage buriné. L’homme avait le teint halé, et était sans conteste amérindien.
Elle prit ensuite une autre chaise et s’assit en face de lui, dossier contre le ventre.
***
« Réveillé ?
-Mmh ? »
Lara, pointant son arme sur le front de l’homme, eut un léger sourire.
Elle se leva et posa un pied sur la chaise où était attaché son prisonnier, et reprit, d’une voix tranchante :
« Bien. Maintenant, tu va me dire précisément ce que tu cherchais chez moi, si tu ne veux pas finir comme tes camarades de jeu... »
L’Indien grommela et prononça des paroles inaudibles, puis il lâcha un juron en espagnol.
Lara commençait à perdre patience. Elle pointa son arme sur les deux pieds de la chaise et tira. Brisée, la chaise bascula, entraînant l’homme sur le dos.
La jeune femme pointa le canon de son fusil sur son front et dit froidement, en faisant sauter la cartouche de la chambre encore fumante :
« La suivante fera plus de dégâts. Je te le demande une dernière fois, qu’est-ce que tu cherchais chez moi ? »
De la sueur dégoulinait du visage de l’Indien, qui répondit faiblement :
« Je- je ne sais pas... on nous a juste chargé de nous introduire ici et de prendre ce que bon nous semblait.
-Qui ? Qui vous a donné cet ordre ?
-Je vais vous le dire, mais vous devrez ... »
Du sang coulait de son nez, et il avait des convulsions. Une fléchette était plantée dans son cou. Lara releva la tête et vit une ombre derrière la haute fenêtre entrouverte perlée de gouttes de pluie. La jeune femme bondit et passa la tête dehors, arme au poing. Personne. Il avait disparu.
Elle revint sur l’infortuné qui continuait de perdre son sang. Elle lui souleva la tête et demanda avec insistance :
« Qui ? Qui ? »
Dans un ultime soupir, l’Indien prononça un mot, entrecoupé par des toussotements qui faisait jaillir du sang :
« A Pa... Palenque... »
... a suivre ...